Au cours de sa carrière, Médard Bourgault aura sculpté au moins trois statues qu’on peut qualifier de géantes par rapport à l’ensemble de son œuvre.
Notre-Dame de Lourdes

Cette statue de trois mètres est réalisée en 1940 pour le collège Bourget de Rigaud. Comme son atelier est alors en rénovation, Médard s’installe dans un petit hangar derrière sa maison, le même minuscule bâtiment où il avait réalisé ses premières sculptures.
L’exécution de la statue se révèle un véritable casse-tête. Médard, autodidacte et n’ayant jamais sculpté une pièce de cette dimension, doit reprendre son travail à plusieurs reprises pour arriver à des proportions adéquates pour chaque partie du corps. Selon ses écrits, il semble qu’il ne fut pas pleinement satisfait du résultat. Dans ses lettres adressées aux autorités du Collège, il révèle qu’il a cherché pendant des semaines la meilleure expression à donner au visage de la Vierge. Pourtant, une fois la statue terminée, il n’a pu que conclure qu’il n’avait pas réussi à reproduire exactement les traits qu’il avait imaginés et dessinés en croquis.
Outre ces difficultés, les contraintes physiques causent quelques problèmes à l’artiste. Pour placer la statue debout sur son socle, il doit percer le toit de son hangar. On ne sait rien aujourd’hui des manœuvres qui furent nécessaires pour sortir l’énorme sculpture du hangar ni des moyens requis pour l’expédier à Rigaud, mais on devine que ce ne fut pas chose facile.
Saint-Augustin
En 1951, Médard réalise un statue de 3,7 mètres pour les sœurs Augustines. Bien conservée et protégée des intempéries, on peut l’admirer encore aujourd’hui dans la façade de l’hôpital de Montmagny.
Dans son journal, Médard ne donne que peu de détails relatifs à la réalisation de cette œuvre, ce qui laisse croire que peut-être son travail a été moins ardu qu’en 1940. Il y raconte seulement qu’il a dû enlever une fenêtre pour sortir la statue de l’atelier et que la touche finale (sablage et peinture) a été apportée à l’extérieur par son fils Fernand.
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Notre-Dame du fleuve
Médard relève un autre défi en 1954 en acceptant cette fois de réaliser une statue de près de 20 pieds (7 mètres!!) pour le Collège des Franciscains de Sorel. Comment réussir à travailler sans encombre pour réaliser cette immense madone dans un atelier de trente pieds (9,1 mètres) de longueur par huit pieds (2,4 mètres) de hauteur? En dépit de ses craintes, Médard se met à l’œuvre.
La tête à elle-seule fera près de 4 pieds de haut (1,20m)! Le prix demandé : 2000$.

La partie centrale du corps est constituée en laminage de pièces collées l’une sur l’autre jusqu’à obtention du volume nécessaire pour réaliser le drapé désiré, le tout autour d’une poutre de pin de 12 pouces carré (30 cm).
Avec l’aide de son fils Fernand, Médard sculpte d’abord Ie dos mais par en dessous, car iI est techniquement impossible avec ses moyens de faire pivoter une telle masse de bois dans un
espace aussi réduit. Il y a en effet tout juste un mètre d’espacement entre le plafond et le dessus de la statue. Puis, il réalise la partie avant et son drapé, qui se trouve donc sur le dessus. Ceci l’oblige même, à cause de la taille de cette Vierge peu commune, à monter à cheval sur sa pièce pour travailler. Le plafond étant, nous l’avons déjà dit, plutôt bas, iI lui est quasi impossible d’avoir une vue d’ensemble de son travail et iI doit donc se fier à son instinct et à son expérience. Enfin Ie corps principal est terminé après quelques semaines de travail.
Mais contrairement à ce qu’il croit, Médard n’est pas au bout de ses peines… et de ses acrobaties. Vient le moment de sortir Ie corps, toujours sans bras, afin de le dresser à l’extérieur pour la finition et les dernières retouches avant l’expédition. On peut imaginer la scène. Médard est nerveux car il va enfin voir son travail dans son ensemble. On ouvre la porte, on la déplace avec autant de douceur que possible, mais elle pèse lourd cette vierge là. Et puis… la tuile imprévue! Elle refuse obstinément de sortir. Elle est trop large pour la porte! Les mesures ont dû être mal prises. Que faire? Par la fenêtre? Mais la fenêtre même n’est pas assez large. Il faut enlever le montant séparant les deux fenêtres et leurs châssis. Enfin elle sort, tranquillement, lentement. Comme à regret.
Avec un système de levier et de nombreux bras humains, on la dresse à Ia verticale. Et Médard peut la voir enfin dans son entier…. Elle est parfaite!
Des échafaudages seront dressés tout autour pour le sablage, Ia pose des mains (amovibles) et la finition: deux couches de fond et une couche de peinture mélangée de sable, la recette de l’époque. Sur sa tête, une plaque de tôle Ia protège tant bien que mal des intempéries. Une autre plaque protège la base.
Le transport, une commandite de la compagnie Donnacona Paper Ltd, était d’abord prévu par goélette via Ie fleuve, mais c’est finalement par camion remorque que Ia petite Vierge de 7 mètres sera expédiée à Sorel. Elle déborde légèrement de chaque côté de Ia plate-forme du camion. Les mains suivent séparément et seront installées sur place. Et la voilà qui part, sans bâche ni rien pour la protéger des intempéries, ligotée par de gros câbles comme une prisonnière.
Arrivée à Sorel, on l’installe sur un balcon devant l’édifice et on la dote d’un éclairage qui la rend visible de loin. On la voit même du port, la géante à Médard. Par la suite, lorsque le Collège fermera, un citoyen, Monsieur Varin, Ia rachètera et en fera don aux Soeurs Grises de Sorel. Elle se rapprochera alors du sol car on la posera sur un socle de pierre ou de béton dans le jardin des Soeurs.
Or comme il n’y a plus de Soeurs Grises à Sorel depuis de nombreuses années, nous ignorons aujourd’hui ce qu’elle est devenue. Est-elle tombée en putréfaction, le bois étant intrinsèquement assez mal adapté au statuaire extérieur? Qui sait?
Ces oeuvres ne sont bien sûr pas isolées. Que l’on pense par exemple à l’immense Notre-Dame du Saguenay réalisée par Louis Jobin en 1881 et qui fait pas moins de 8,5 mètres. Perchée sur le Cap Trinité, elle aura par contre eu la chance d’être mieux protégée des intempéries et fait désormais partie, depuis 1965, du patrimoine protégé du Québec.
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Source: Bulletins de la Maison Médard-Bourgault, mai 1993 et janvier 2014.