Le texte suivant est un extrait d’une longue réflexion par Jean-Raymond Bourgault, fils aîné de Médard. Il a pour déclencheur un monument dressé par la famille (enfants et petits-enfants) à Médard Bourgault à côté de la maison dans les années 90. Le texte comporte deux volets : le « miroir réaliste », présenté ici, et le « miroir idéaliste avec l’éloignement du temps ».
J’ai l’impression d’être devant deux miroirs. Le premier qui projette une image réaliste : J’ai vécu 29 ans à la maison à le côtoyer, à le voir agir avec ses faiblesses et ses grandes qualités, avec ses points défaillants et ses points pleins de solidité.
L’autre miroir avec l’éloignement du temps, il y a ce miroir idéaliste.
Mon père, m’a toujours paru comme un grand rêveur, ce côté m’est bien connu à cause de ma propre tendance au rêve et au sentimental. Est-ce un défaut?
Père, non seulement était rêveur, mais il était idéaliste pour certain domaine, l’art entre autres. Cela lui a joué des tours, même des déceptions. Père a été marin, il en parlait beaucoup, la mer a été une source d’inspiration, mais, si je lui disais que je voulais être marin. Houp! Là, il démolissait mes aspirations. Père était fin observateur et les observations de son entourage ont été des sources fécondes pour son œuvre artistique, on a qu’à entrer dans le jeu de ses personnages sculptés; le côté ridicule ou poétique y est finement révélé dans les expressions des visages, les statures physiques.
Observateur veut aussi avoir une relation avec mémoire et souvenir.
Pour le passé, Père avait une mémoire d’historien, ce qui fait qu’il était un excellent conteur. Je me souviens de ces veillées à l’atelier les soirs d’hiver, de l’une qui m’a fait vibrer et presque vivre: Il était question de Joseph Arthur Fournier, de son habileté et de sa technique pour la sculpture. Enfin ce soir-là, Founier fut idéalisé par les paroles de papa, ce qui me marqua beaucoup et me fit aimer la menuiserie et surtout le meuble. C’est probablement de cette soirée que je vouai presque un culte à J-A Fournier. Mais, sept à dix mois après au chalet, je lui posé une question à propos de Fournier … Boom! Il aurait mieux fallu me taire. Autant il l’avait monté au Zénith cette soirée autant il le descendit cet après-midi de juillet où il faisait une chaleur à fondre.
Père était cyclique, et ce qui fit parfois très difficile à vivre avec. Un petit exemple, j’avais quitté la maison étant marié et j’étais établi ici, où je suis. Je le rencontre à son domaine des grèves et tout heureux de lui faire part non seulement des deux commandes de meubles, mais des beaux albums d’ornement du XVIII siècle. D’abord, il me dit que j’allais crever avec ces ouvrages là et la suite ne fût guère plus consolante.
Quand je le quittai, il ne me parut vraiment pas d’accord. Je me rends compte aujourd’hui qu’il n’appréciait pas qu’un de ses fils marche sur une autre voie que la sienne. Combien de fois, dans ma jeunesse, m’a-t-il reproché de trop frayer avec les livres et d’autres fois, il me disait que je faisais bien de parfaire mes connaissances.
Cyclique une journée, l’enthousiasme; tout était beau et le lendemain: Crac! Le thermomètre était en bas, ces jours-là nous étions sur les épines. Ici, je m’arrête cela suffit pour le côté réaliste. Non, il n’était pas facile de vivre avec papa, surtout quand c’était du côté moral, disons spirituel. Une fois : j’avais entre 15 ou 18 ans, j’avais été avec des amis du canton, cousins et cousines dans une soirée où j’avais dansé les carrés, la gigue, et bien pris quelques petits verres de bon vin. Je rentrai à la maison vers une heure du matin, il m’attendait et j’eus une jolie semonce. Maman se leva, le prit par le bras et l’amena se coucher. Mais, à 5 heures, il me réveilla et m’envoya à la confesse, comme si j’avais fait des choses affreuses et immorales. Malgré que je m’endormais comme un caillou, j’y allai, mais il n’a jamais su que je ne suis jamais allé dans la boite à péché. J’ai assisté tant bien que de mal à la messe je ne me sentais coupable de rien. D’ailleurs tout ce paquet de cousines et cousins plus les gens âgés, père, mère, oncles ou tantes étaient-là.
C’est d’une foi plutôt sous la loi de la crainte et de la peur que papa a emmergé après ses longues retraites à Villa Manrèse. Après deux ou trois retraites de 10 à 15 jours, papa devint beaucoup plus souple et plus large, du moins pour ce temps -là. Ce qu’a bénéficié surtout notre chère maman qui était beaucoup plus simple; plus large avec la morale et les histoires de péchés. J’en reparlerai dans l’autre miroir plus loin. Mais, il ne faut pas oublier que j’étais l’ainé et puis son rival vis-à-vis de ma mère. Ce qui inconsciemment, il n’acceptait guère, surtout à cause de son tempérament. Je remarque que papa à ma mémoire n’a jamais été très démonstratif affectivement, d’aussi loin que je me souviens maman, grand-père et surtout certaines tantes m’ont montré beaucoup plus d’affection que papa, qui m’a toujours paru bien embarrassé avec ces démonstrations affectives. Là-dessus, il ressemblait à grand-mère point pour point.