Sur les dépôts de la plaine agricole du St-Laurent, un terrain, une maison attachés aux champs et au Chemin du roy. En contrebas, une bande de terre, isolée par une falaise et dont l’histoire est plutôt liée au fleuve.
Origines
Au commencement était la mer, vaste, sauvage et profonde, qui recouvrait de ses eaux froides et limoneuses tout ce qui est aujourd’hui la vallée du St-Laurent. Pendant des millions d’années, elle déposa sur ses fonds coquillages, sable et autres débris qui formèrent bientôt une couche épaisse. Au fil du temps, les forces telluriques en firent un lit de grès friable. Et la construction de la couche de fond construisit encore très longtemps une matière qui deviendrait un jour les riches terres agricoles, lesquelles s’étendent jusqu’aux contreforts des Appalaches, anciennes montagnes usées comme de vieilles dames au bord de mer.
Le temps passa. Le climat changea. Des glaciers d’une épaisseur sidérante vinrent occuper et sculpter le paysage.
Puis, il y a un peu plus de 10 000 ans, un long printemps. La fonte des glaciers dégagea enfin graduellement le territoire de ce qui deviendrait un jour St-Jean-Port-Joli, laissant derrière un plateau de terre fertile déposée sur un fond calcaire fragile à l’érosion, avec ici et là des blocs de granite et autres roches dures transportés par les glaces. Les rivières et le vent reprirent le long travail d’ébauche. Une falaise bordant le plateau, désormais couvert de forêts, recevait les vagues d’un grand fleuve héritier de la mer de Champlain.
Derrière une frange de rochers, par la force de l’ensablement et par la végétation conquérante, une bordure de terre vit le jour en contrebas de la falaise, une petite langue de terre rapidement conquise aussi par les saules, les cèdres et les sapins. Une petite plage en formait la pointe sud-ouest, qui invitait à la découverte.
Et après ce long préambule, c’est sur ce tout petit rectangle du territoire que commence vraiment notre récit.
Occupants
Virent sans doute aussi les premiers peuples, non pas sur une base régulière puisque le secteur regorgeait de baies plus abritées et plus accueillantes, mais on peut facilement imaginer un canot amalécite le temps d’un bivouac sur la petite plage tout au bout, à l’ouest.
Un jour d’été, durant les grandes chaleurs, de grandes barques avec des voiles comme des oiseaux remontèrent le fleuve très loin au large. Le domaine allait bientôt, doucement, sortir de sa préhistoire.
Un document compilé par Alphonse Toussaint, photographe professionnel et historien amateur de St-Jean-Port-Joli, indique que le premier propriétaire connu du site (parce que les nouveaux venus avaient désormais implantés le concept de propriété) fut un certain Jean Légouï. Son utilisation du site était surtout les droits de pêche, probablement anguilles et éperlans.
Durant les années suivant la Conquête, toute la région se reconstruit péniblement après les ravages incendiaires de la guerre. La partie du domaine actuel en haut de la falaise fait alors partie d’un lot agricole séparé qui, selon Toussaint, comprenait déjà une maison dès la présence du couple Légouï/Auclair.
Après le décès du sieur Légouï en 1788, un chapelet de propriétaires se succèdent par voie de mariage, vente ou héritage: Élizabeth Auclair (veuve Légoui), Joseph Gauvin, Jean-Baptiste Bourgault, Jean-Baptiste Caron, Louis Toussaint, Julien Chouinard, André Gauvin, Narcisse Danis, Germain Robichaud, Bénoni Bourgault, Esther Gagné, Lazarre Jean, Damase Pelletier, Gilles Bourgault, Martial Bourgault, Delphis Bourgault, Elzéar Toussaint…
En 1920, Médard Bourgault, qui habite encore chez son père, Magloire, la porte juste à côté[1], il achète d’Elzéar Toussaint cette partie haute, avec maison et dépendances, qui allait du chemin du roy à la falaise.
Ce lot n’est pas rattaché à la partie en bas de la falaise, lequel a servi longtemps pour la pêche aux différents propriétaires avant d’être finalement défriché et devenir pacage ou champs de patates.
La partie au bord du fleuve passe aussi de mains à mains (Germain Caron, David Toussaint, Julie Toussaint, Elzéar Ouellet, Odilon Toussaint…). Il est finalement scindé en deux, la partie sud-ouest, dotée d’une petite plage qui favorise pêche ou atterrage, étant séparé d’un autre lot d’environ un arpent de front.
Médard Bourgault achète donc de son beau-frère Odilon, marié à sa soeur Alice, ce bout de terre qu’il rattache au lot où se trouve sa maison en haut de la côte. Le haut et le bas sont séparés par une falaise difficilement franchissable, mais qu’à cela ne tienne.
Le temps a passé. On est en 1947. Le Domaine vient de naître…
—
[1] Sa maison natale éta, là où se trouve aujourd’hui le stationnement du Musée des Anciens Canadiens