Derrière la maison commence l’espace privé. D’abord un plateau en pente douce qui va de la route jusqu’au bord de la falaise dominant le fleuve. La famille de Médard et Rose y maintiendra au fil des années diverses dépendances: grange ou étable, jardin, arbres fruitiers, etc., bref le lot de l’immense majorité des habitations campagnarde de l’époque. Et tout au bout du jardin, au sommet de la falaise, le mythique Rocher de Médard.
Dépendances
Une petite grange s’élevait à l’est de la maison, sur ce qui est désormais le lot voisin. Du côté de la route, se trouvait une rallonge en appenti assez grande pour y engraisser deux cochons. En décembre, avant Noël et au début des grands froids, on faisait boucherie sur place à la manière traditionnelle[1]. Il y eu aussi longtemps des poules. Et pour un temps, une vache paissait en bordure du jardin, attachée à un pieu. On la mettait en pension chez un voisin agriculteur pour l’hiver. Un autre appenti attenant à cette grange permettait de ranger le bois de chauffage à l’abris des intempéries.
Le lot où elle se trouvait fut cédé à Jacques, un des fils de Médard et Rose, à la mort de cette dernière en 1978. Le bâtiment fut alors déplacé plus bas, derrière la maison, dans une partie de ce qui avait été longtemps le jardin de patates. Elle fut finalement détruite par un incendie au début des années 1980 et remplacée par une simple remise.
La dernière dépendance qui se mérite une anecdote concerne une… voiture. Dans les années 50, Médard fit l’acquisition pour sa famille d’une automobile Vanguard. Mais comme ni lui, ni son épouse, ni même son fils aîné Raymond ne pouvaient conduire de voiture faute de permis[2], ses fils Fernand et Claude devinrent chauffeurs désignés de la famille. Un garage en bois très simple, un peu l’ancêtre fait main de l’abri Tempo, fut construit à l’est de la maison pour la loger l’hiver à l’abri de la charrue et des neiges.
Jardins
Le potager était sur le plateau derrière l’atelier (démoli en 2016) et s’étendait jusqu’à l’escalier qui descend au bord du fleuve. La partie plus à l’ouest, était consacrée à la culture des patates. Ce morceau de terrain est aujourd’hui occupé par des arbustes, des fleurs des champs et des framboisiers semi-sauvages. Le jardin potager pour les autres légumes était de l’autre côté, à l’est de ce plateau en pente douce, protégé du vent par un rideau d’arbres mais avec un bel ensoleillement.À l’époque, le sentier menant à la grève partait tout droit de la maison vers le rocher, puis tournait à angle droit le long de la falaise en descendant vers l’escalier.
Au milieu des années 40, Médard avait planté des arbres fruitiers le long des clôtures, de chaque côté du terrain : pommiers et poiriers à l’ouest, pruniers à l’est. Plusieurs de ces arbres moururent graduellement, soit empoisonnés par les rejets du puisard dont le trop plein se déversait dans un ruisseau courant vers le fleuve (à la manière de l’époque), soit étouffés graduellement par les peupliers et autres arbres plantés à la même époque.
Le jardin a aussi son anecdote savoureuse. Dans les années 50, le long du sentier de la grève, un village miniature constitué de quelques bâtiments fut construit par (ou pour) les plus jeunes fils Bourgault. Fernand, le deuxième fils de la famille, construisit la première grange pour amuser ses deux jeunes frères (André-Médard et Jacques). Elle était peinte en vert avec le toit rouge. Quelques temps plus tard, Claude, le troisième fils, en construisit une deuxième, assez grande pour que les deux gamins puissent se faufiler à l’intérieur. Il y ajouta même des animaux découpés (“les poules n’étaient pas à l’échelle” se rappelle André-Médard en souriant…). Amateur de mécanique de la famille, Claude bricola aussi des… camions en bois pour ses deux jeunes frères: un modèle Ford pour André-Médard et un GMC pour Jacques. Les camions jouets eurent tant de succès qu’on dû bientôt en remplacer les roues, déjà trop usées.
Le Rocher
Peu d’endroits semblent avoir autant touché Médard que cette petite bordure rocheuse fermant le plateau du jardin et dominant le fleuve. L’espace, impropre au jardinage, est couvert de peupliers, cèdres, bouleaux et autres essences indigènes. La vue devait y être impressionnante.
Le Rocher, c’est le nom que lui donne Médard. SON Rocher. Il en parle longuement dans son journal, bien mieux que nous ne saurions le faire…
(extraits d’un texte datant de 1948)
Solitude ou ermitage, que de beaux souvenirs me font rappeler ce rocher. Tout parle dans ce coin situé au nord de ma demeure. Il surplombe notre beau fleuve St-Laurent à perte de vue. En face, j’ai la Rivière St-François ou Petite-Rivière, la Baie St-Paul, l’Île aux Coudres, Les Éboulements, Clermont, les Piliers, la Batture aux Loups-marins. Je vois le Cap-au-chien au nord-est et à l’ouest, jusqu’au Cap Tourmente et au-delà.
J’y jouis d’une tranquillité parfaite, si ce n’est que les questions des enfants sur bien des choses, et leurs cris de joie se mêlent aux chants joyeux des petits oiseaux et aux cris rauques de la corneille. J’entends chanter tous ces beaux cantiques et litanies des petits oiseaux nos frères, qui remercient le créateur de leur donner un si beau paysage et à manger.
L’été, ce beau feuillage vert. L’automne avec son beau décor rouge, jaune, or et vert. Enfin, tous ces coloris se dessinent à perte de vue. Tous ces beaux coucher de soleil contemplés sur le beau fleuve. Que de jeux d’ombres et de lumières. Que de beautés le créateur m’a donné de jouir. Que de beaux rêves depuis mon enfance dans ce rocher.
Que de fois dans mon enfance, nous avons été jouer dans ce rocher; manger des pommes dans le gros pommier crochu, des cerises-à-grappes, de petites merises, grimpé dans le gros bouleau pour contempler le plus loin le paysage enchanteur. Que de fois avons-nous joué à l’indien, avons-nous fait des sifflets le printemps, fait des pique-niques. Que de fois nous sommes-nous assis dans le petit bocage de la chapelle d’aujourd’hui. Que de fois nous avons raconté des aventures imaginaires, assis sur le gros cèdre croche ou en dessous des érables et des gros frênes. Que de cris de joie sont partis de ce rocher.[3]
Quand Médard élèvera sa famille, le rocher, et surtout la falaise haute d’une dizaine de mètres qui le borde, seront considérés comme source de danger pour les enfants. Mais au lieu d’en interdire l’accès, en catholique sincère et peut-être aussi en souvenir de son enfance, Médard se contentera d’ériger une statue à Notre Dame de la Falaise avec pour mission de protéger sa marmaille des accidents. Quelqu’en soit la cause, le légendaire familial n’a enregistré aucun accident digne de mention.
Ah! s’il pouvait parler ce rocher, il me raconterait bien des choses de mes ancêtres qui l’ont fréquenté comme moi: surtout à la «brayène» quand ils allaient broyer le lin. Il prie, il chante et il pleure mon rocher. Il y avait beaucoup de gros arbres dans ce temps. Quand j’étais jeune, une vieille insensée les a fait tout couper vers 1908. Mais heureusement, ils ont pas mal tous repoussé. Le vieux pommier est tombé vers 1924-1925, mais des repousses ont pris la place. Beaucoup de cerises-à-grappes repoussent, des frênes et des érables. Le vieux bouleau est tombé par le vent, une forte brise de vent du sud qui avait fait beaucoup de dégâts (1926-1927 ou 1930). J’étais au Pilier, nous étions après pêcher. C’était au mois de septembre si je me souviens bien. [3]
Mais ce n’est déjà plus un simple lieu de jeu et de calme serein. Le charme inhérent du site se transforme graduellement, au fil des méditations de Médard, en lieu de recueillement. Certains soirs d’été, la famille viendra dire le chapelet dans cette chapelle de verdure. Aussi, Médard aménage graduellement le lieu en conséquence.
Le calvaire a été posé en 1932 et béni par l’abbé Joseph Bourgault, vicaire de Sainte-Brigitte de Montréal en 1936 (août). Le christ a été remplacé en 1936 au printemps. Le premier Saint-François, 1936, vendu à… Saint-Jean Baptiste, l’une de mes premières statues (quatre pieds), classée grande dimension, a été faite en 1929. Placée d’abord dans la lucarne avant de la maison, et replacée dans le rocher place actuelle 1933, (bénite par l’abbé Albert Tessier de Trois-Rivières). Le Saint-François d’Assise a été sculpté en 1937, placé dans le rocher côté ouest même année.
La grotte de Lourdes, faite en 1935 ou 1936, bénite par l’abbé Albert Tessier, mon grand ami. La statue de Notre-Dame de la Falaise, faite en 1927, et bénite par l’abbé Joseph Bourgault 1936. Cette statue a été placée dans la falaise au pied de la descente 1946.
La chapelle dédiée à Notre-Dame de la Protection des enfants: chapelle dite des. enfants, a été construite en 1941 au printemps. La statue a été sculptée en 1937. Le crucifix a été sculpté par Claude, mon fils, 1941. Le Saint-Joseph en 1933. J’ai construit cette chapelle avec Fernand et Claude. Raymond a fait le socle de la statue. Elle a été bénite par le révérend Père Joseph Paré, jésuite, supérieur de Villa Manrèse de Québec, lors d’une visite à l’atelier en 1942. [3]
Hélas, comme il s’agit d’œuvres de bois placées à l’extérieur, la plupart ne sont passées dans la mémoire que sur des photos, bien que certaines soient toujours existantes mais souvent en mauvais état. Le Domaine ne les expose donc qu’en de rares occasions.
Ouvert lors d’événements spéciaux (ex: Portes ouvertes, etc.), le Rocher, bien que toujours un lieu magnifique, a un peu perdu de sa magie. Les installations se sont dégradées et les arbres, dont certains plantés par Médard lui-même, ont graduellement réduit la vue. Mais le point marquant est surtout que, à partir de 1946, l’espace de méditation et d’inspiration créative de Médard s’est transporté ailleurs, plus proche du fleuve, en bas de la falaise, à la grève.
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[1] Pour voir une scène comparable dans Le règne du jour de Pierre Perreault https://www.onf.ca/selections/loeuvre-de-pierre-perrault/lecture/#2
[2] L’anecdote continue… Raymond n’eut jamais de permis de conduire de toute sa vie. Ce fut un de ses frères qui agit comme chauffeur, pour la messe du dimanche et autres besoins, pour lui et sa famille et ce, jusqu’à sa mort en 2010.
[3] Les extraits du journal sont tirés de : Médard Bourgault (1991) Journal. Saint-Jean-Port-Joli, Corporation Maison Musée Médard-Bourgault, 114 p. Miméo, tirage limité.